Son passé : La porte s'ouvrit sans un bruit, si ce n'était le léger frottement du bois sur l'épaisse moquette. Adam Marrow entra, les mains dans les poches de sa veste de cuir et referma la porte derrière lui, esquissant un sourire polis à la jeune femme qui l'attendait derrière son bureau. Seul un ficus allégeait la décoration alourdie par des meubles austères et sombres.
"- Bonjour, Monsieur Marrow. Veillez prendre place, je vous pris.
- Merci..."
Et l'homme prit place après avoir retiré et posé sa veste sur le dossier. Observant un instant la décoration du cabinet, il fit un autre sourire polis à la jeune femme qui s'asseyait sur la chaise en face de lui. Elle portait un tailleur hors de prix qui mettait en avant son corps aux courbes délicieuses, de plus elle avait des talons hauts et ses cheveux relevés dans une coiffure stylisée, lui donnaient presque l'air d'une secrétaire cochonne si ce n'était son regard d'un gris acier qui défiait quiconque d'oser faire le rapprochement. Adam haussa légèrement des épaules et il se pencha finalement entre ses genoux écartés pour venir défaire les lacets de ses chaussures. Cette femme était trop belle et parfaite pour être vraie de toute façon. Rapidement en chaussettes, il se vautra dans le divan et croisa les mains derrière sa nuque, fixant le plafond d'un œil morne. Elle entama la conversation d'un ton calme et professionnel :
"- Bien, nous allons commencer. Dites moi ce qui vous à poussé à entrer dans la police et plus précisément dans la Brigade d'Interventions Spéciales.
- Vous êtes directe. Mais je ne vais pas me plaindre, vu le prix que vous facturez à l'heure, autant éviter les préliminaires.
- Monsieur Marrow... !"
La voix outrée de la femme le fit rire intérieurement et il haussa des épaules, affichant toujours une expression neutre. Installé confortablement, il abaissa ses mains pour les poser sur son ventre. La respiration calme et profonde, il prit la parole après un bref silence :
"- Je suis entré au B.I.S. pour venger ma famille.
- Vous avez subit un traumatisme, donc. Que s'est-il passé ? Demanda-t-elle en se penchant légèrement en avant.
- J'avais un père, une mère ainsi qu'une petite sœur. Elle était ma cadette, alors je me devais de la protéger. Seulement, j'ai rien pu faire quand un Pariât l'a attaqué...
- Je vois. Vous avez donc consacré votre vie pour pouvoir atteindre un statut vous permettant de venger votre sœur ?
- … "
Adam ferma les yeux, l'écoutant gratter la feuille de ses notes. Un autre silence s'étala pendant plusieurs minutes avant qu'il n'esquisse un étrange sourire et il se redressa sur les coudes, observant la bonne femme avec un air moqueur.
"- Dites moi, est-ce que vous avez lu mon dossier médicale, au moins ?
- Pardon ?"
Il ne dit rien de plus, se recouchant et il laissa la jeune femme se lever et aller fouiller dans son bureau. Soupirant, il se gratta le ventre puis regarda le ficus aux feuilles luisantes. Il se demanda si quelqu'un était payé pour venir enlever la poussière de chacune des feuilles. Tout à sa contemplation, il ne remarqua pas le retour de la demoiselle qui se gratta la gorge pour attirer son attention.
"- Mmm ?
- Il semblerait que vous n'ayez pas de sœur, Monsieur Marrow.
- Ah ?
- Oui... Monsieur Marrow, savez-vous exactement pourquoi vous êtes là ?
- Hm... Mon supérieur m'a demandé explicitement de venir vous voir.
- Effectivement. Il semblerait qu'il y ait dans vos rapports et dans ceux de vos collègues plusieurs anomalies.
- Vraiment ? Je pensais faire du bon travail.
- Oui et c'est bien ça qui est inquiétant, vous semblez faire du trop bon travail.
- Aaah... et c'est... mal ?"
Adam se redressa encore une fois sur les coudes et leva un regard vaguement surpris sur la jeune femme. S'il s'attendait à ce qu'on lui reproche plusieurs choses, jamais il n'aurait cru qu'on critiquerait son travail. Il se rallongea et observa le plafond, vaguement soucieux. La femme croisa de nouveau ses longues jambes galbée et tapota la pointe de son stylo que le côté de son calepin.
"- Ce n'est pas mal en soit, cependant dans un métier tel que celui là... n'éprouver aucune émotion peut être interprété comme un signe de graves troubles mentaux.
- N'éprouver aucune émotion, vous dites ?
- Oui, Monsieur Marrow. Votre indifférence autant lors des missions qu'en dehors, votre manque total d'implication dans les relations avec vos collègues... tout cela a poussé vos supérieurs à demander cette entrevue alors s'il vous plait, prenez là au sérieux.
- Bien."
Se redressant en position assise, il se passa une main dans les cheveux et poussa un soupir. Qu'est-ce que c'était ennuyant. Adam posa les coudes sur ses genoux et fixa un instant la moquette avant de se décider à parler.
"- J'étais un simple agent de police à l'époque. J'ai eut une formation privilégiée parce que ma mère était déjà dans la police. J'ai rapidement pris du galon jusqu'à devenir Lieutenant. J'avais une équipe sous mes ordres et nous faisions du bon travail. On permettait à notre poste de faire ses quotas... on arrêtait les mauvais et on consolait les familles des victimes grâce à ça.
- Comment en êtes vous arrivé à entrer dans un section aussi spéciale que le B.I.S. ?
- Et bien... Plusieurs affaires m'intriguaient. Des disparitions, des cas non-résolus dans la ville souterraine en particulier. J'ai commencé à mener ma propre enquête. Je pensais qu'il y avait un trafic illégal et des agents corrompus.
- Je vois. Monsieur Marrow, est-ce à cause de ce genre de suspicions que vous refusez de développer des émotions ?
- Pardon ?
- Oui, la distance que vous imposez entre vous et vos collègues pourrait découler de cette histoire d'agents corrompus.
- Oh non. J'en ai juste rien à foutre de leur gueule. Ils ne m'intéressent pas en tant que personne, tout ce que j'ai besoin de savoir sur eux, c'est qu'ils soient capable de protéger mes arrières quand nous sommes dans les Catacombes.
- Mais vous venez de dire...
- Mademoiselle, je viens juste de dire que j'ai effectués plusieurs enquêtes internes et je n'ai rien trouvé ou plutôt, je n'ai pas trouvé ce que je recherchais.
- Comment ça ?"
Adam coula à la jeune femme un regard ennuyé alors que son expression restait la même. Il se leva pour contourner le divan et dépassa le bureau pour observer Midnights au travers de la fenêtre. Il fourra les mains dans ses poches et se tint légèrement déhanché, la tête basse.
"- Mes supérieurs se sont rapidement rendus compte de mes petites enquêtes et ils ont décidé de me muter à la Brigade.
- Pourquoi avez-vous accepté ?
- Et pourquoi pas ? La paie était meilleurs, le métier était nouveau et j'aurais enfin les réponses que je cherchais depuis des mois.
- Et avez-vous été satisfait de ces réponses, Monsieur Marrow ?"
La question le fit sourire et il leva les yeux sur les buildings d'en face. Adam se frotta la nuque, songeur et il prit le temps de réfléchir à sa réponse avant de revenir auprès de la jeune femme, s'asseyant à nouveau sur le divan.
"- On peut dire que j'ai obtenu une certaine satisfaction, oui. J'ai rapidement appris qui était responsable des nombreux meurtres et disparitions non élucidées. Il s'agissait des Pariâts, bien entendu. Ces créatures pitoyables que l'État cherche à cacher à tout prix.
- Est-ce une critique, Monsieur Marrow ?
- Du tout, Mademoiselle. Il s'agit d'une simple constatation. Le B.I.S. n'est pas pas reconnu officiellement par les pontes du Gouvernement et même parmi les autres agences, nous sommes entourés d'un épais brouillard de mystère rehaussé d'un tampon à l'encre rouge marqué du sceau "Top Secret".
- Éprouvez-vous de l'amertume à ce propos ? Le fait de devoir cacher les mérites de votre travail, de devoir risquer sans cesse votre vie sans jamais recevoir publiquement de récompenses...
- Vous vous trompez.
- Pardon ?
- Mmm... Nous obtenons une satisfaction personnelle sans égale à chaque fois que nous parvenons à abattre une de ces créatures. Nous savons, en regardant sa carcasse sans vie, que nous venons de sauver un nombre indéfini d'innocents. Rien que pour ça, nous n'avons pas besoin d'autre reconnaissance que celle de voir le peuple marcher tranquillement dans nos rues.
- Dans ce cas, pourquoi ne partagez vous pas avec les autres les émotions qui sont les vôtres ?
- Je suis un irréductible introverti, que voulez vous.
- Monsieur Marrow, je vous ai déjà demandé de prendre au sérieux cette séance.
- Et c'est bien ce que je fais. Mais vous n'arrêtez pas de m'interrompre pour m'analyser.
- Mais il s'agit de mon travail."
Adam se contenta de pousser un long soupir blasé. Cette femme commençait à lui taper sur le système. Pourquoi ne le laissait-on pas en paix ? Il faisait son job efficacement, protégeait ses hommes et rendait ses rapports à temps. Il s'allongea et glissa une main sous sa nuque, fermant les yeux.
"- Écoutez, mademoiselle la psychologue. J'aime mon travail, j'aime mon pays et j'ai suffisamment l'âme patriotique pour me tenir debout lorsque j'entends l'hymne nationale. Mais je ne suis plus l'homme social et émotif que j'étais il y a cinq ans. Les gens changent, et moi ça ne m'empêche pas de continuer à bien faire mon job, que je sache.
- Monsieur Marrow, vous venez d'avouer par vous même que vous avez changé. Qu'est-ce qui a provoqué en vous un tel bouleversement ? Il est dis dans le rapport que l'on m'a fourni, qu'avant votre entrée à la Brigade d'Interventions Spéciales, vous étiez d'un caractère enjoué, sociable et que vous agissiez comme un leader au sein de votre équipe. Pourtant, vous êtes désormais dépeint comme un homme sans personnalité, distant et d'une efficacité aussi redoutable que crainte.
- Dites moi...
- Oui ?
- Avez-vous déjà vu un Pariât ?
- Heu... Bien sur que non. Mais pourquoi cette question, Monsieur Marow ?"
Il l'observa attentivement, sans répondre pendant de longues minutes. Ses yeux d'un bleu profond semblaient la sonder et même la déshabiller comme s'il cherchait à la juger. La jeune femme s'agita nerveusement sur son siège, elle lissa le revers de son tailleur et tira quelques centimètres de sa jupe pour couvrir ses cuisses.
"- Monsieur Marrow !? Veuillez cesser de me regarder ainsi !
- … J'en ai vu un nombre incalculable de ces sales bêtes. Mais je me souviendrais toujours de ma première fois."
Adam détourna son attention d'elle pour observer le ficus. Un frisson coula le long de son corps et lui donna la chaire de poule. Oui, il se souviendrait toujours de sa première descente dans les Catacombes. Il leva une main pour la poser sur son épaule, massant par dessus son habit l'amas de tissus cicatriciels.
"- C'était il y a quatre ans. On m'avait fais faire une formation intensive pour que je sois au niveau... mais rien ne prépare à ce qu'on affronte en bas. Rien au monde ne peut vous préparer psychologiquement à ces choses."