L'île mystérieuse
1ère partie
Eric souriait stupidement depuis plusieurs minutes, euphorique. Jamais il ne s'était senti aussi heureux, mais aujourd'hui était un grand jour. Le jour où son rêve se réalisait enfin ! Il avait enfin pu se payer une superbe croisière sur l'Évasion. C'était magique. C'était fantastique. Il regardait l'océan s'étendre à perte de vue devant lui, complètement subjugué. Son appareil photo vibrait dans ses mains tremblantes d'émotion.
- Ah, si ce n'est pas merveilleux !
Une vieille dame, à son côté, lui sourit. Eric fit mine de ne pas l'avoir vue et photographia l'horizon. Les reflets du soleil sur l'océan donnaient du charme à la mer. Amusé, Eric gloussa puis jeta un regard à sa montre. Quand il s'aperçut de l'heure qu'il était, il poussa un petit cri. Il n'avait pas vu le temps passer, il était grand temps de contenter son estomac !
[Tard dans la nuit...]
Eric émit un grognement plaintif et écarquilla les yeux, frustré. Il lui avait semblé entendre un grincement sinistre ainsi que des cris qui l'avaient tiré de son sommeil. Ou peut-être n'était-ce que son imagination, peut-être ces bruits avaient-ils fait partis de son rêve ? Avec un soupir, Eric quitta les draps chauds de son lit, enfila ses chaussons, et sortit de sa cabine. Là, il prit conscience de l'agitation qui régnait sur le bateau. Un véritable chaos. Les gens criaient, hurlaient de terreur, et couraient dans tous les sens, paniqués. Comme Eric ne savait pas ce qui se passait ni ce qu'il devait craindre, il suivit la foule, essayant de savoir pourquoi tous ces gens étaient effrayés, mais personne ne lui répondait. Il se retrouva bientôt sur le pont et comprit rapidement le danger qui les menaçait tous. Le navire était en train de couler.
- Non... Non, non, non, non, non !!!
Le bateau penchait dangereusement en avant et le coq se retrouva complètement submergé par les flots d'une mer agitée sous un orage violent. Les vagues déferlantes se fracassaient contre le navire, le secouant dans tous les sens. Des grincements sinistres recouvraient les cris des passagers, arrachant des frissons d'horreur à Eric. Tétanisé, le jeune homme était incapable de bouger et ses jambes refusaient de lui obéir. Bientôt, il fut incapable de rester debout. Les gens glissaient tous vers l'avant, essayaient de s'accrocher à quelque chose tandis que d'autres s'évertuaient à détacher les cannots de sauvetage, leur seul moyen de survie. Eric s'accrocha à la rambarde d'un escalier et lança un regard plein d'espoir à un des sauveteurs. Il n'était pas si loin que ça des cannots, il avait encore une chance de s'en sortir !
- Pitié, aidez-moi !
L'homme le dévisagea, sembla hésiter, puis céda. Il tenta de se rapprocher de lui, lui tendit la main. Plein de reconnaissance, Eric le remercia et saisit sa main dans la sienne, mais elle glissait.
- Essayez de vous accrocher à ma veste !
C'est ce qu'il fit, mais il y eut une secousse plus violente que les autres et le sauveteur lâcha la rambarde qu'il tenait, emportant Eric avec lui. Ils furent les premiers passagers à tomber à l'eau. Eric agita nerveusement les bras et remonta péniblement à la surface.
- A l'aide !
- Attention !
Une femme lui montra du doigt le bateau et Eric écarquilla les yeux d'effroi. Il voyait le navire en train de se retourner... mais il tombait droit sur lui !
- Vite !
La femme l'encourageait à venir là où elle se trouvait et Eric entreprit de la rejoindre, mais la mer était beaucoup trop agitée, les vagues beaucoup trop violentes, et il se retrouvait sans cesse projeté sous l'eau. Ses forces s'amenuisaient, si bien qu'il devint plus difficile pour lui de lutter. Un peu plus chaque minute il avait du mal à retrouver son souffle et, bientôt, ses poumons furent remplis d'eau et le brûlèrent. Il souffrait atrocement mais tentait, par la force du désespoir, de se sauver. Le bateau s'écrasa avec une brutalité gigantesque sur la surface de l'eau, produisant des vagues géantes qui achevèrent totalement Eric...
[Perte de connaissance.]
[Tôt le matin...]
Lentement, Eric écarquilla les paupières et la lumière du soleil l'aveugla. Il s'empressa de refermer les yeux et toussa. Il se sentait faible et tous ses muscles étaient douloureux. Les souvenirs de la veille étaient très flous. Il se rappelait seulement s'être réveillé au milieu de la nuit, avoir vu des gens courir, mais c'était tout...
Eric inspira profondément et l'air pur lui brûla les poumons. Il grimaça de douleur et tenta, une deuxième fois, d'ouvrir les yeux. Ce fut pénible, douloureux, mais il se força à les garder ouverts. Quand il se redressa, il découvrit avec la plus grande stupéfaction qu'il avait échoué sur une splendide plage. L'eau était très claire, comme sur les photos de plages qu'il avait déjà vues dans les magasines de voyages. Plusieurs bagages traînaient sur le sable chaud, mais aucun corps, aucun autre passager, il n'y avait que lui. Encore étonné, et légèrement sonné, Eric se releva. Il se sentait un peu groggy mais tenait sur ses jambes.
Comme il avait faim et soif, qu'il n'y avait personne alentours, Eric entreprit de fouiller les bagages en se sentant vaguement honteux de voler des personnes qui étaient sûrement mortes. Il semblait être le seul survivant et cette île, il ne la connaissait pas.
Il vida complètement une valise et la remplie de tout ce qui pouvait lui être utile : nourriture, boissons, médicaments... avant de partir à l'exploration de cette île inconnue.
[Le soir, toujours sur la plage, 40km plus loin...]
Un bruit de musique, de tambours et de rires, le réveilla. Croyant qu'il rêvait encore et peut-être même qu'il se trouvait encore sur l'Évasion, Eric hésita à ouvrir les yeux. Mais comme le bruit persistait et devenait plus fort à chaque seconde, il se réveilla tout à fait et se redressa, découvrant plus loin un feu de joie. Il y avait plusieurs personnes qui se trouvaient là, dansaient autour du feu, chantaient, buvaient et mangeaient. A chaque fois plus surpris par les événements qui se produisaient depuis l'échéance du bateau, Eric décida d'aller voir ce qui se passait. Quand il s'approcha du petit groupe qui festoyait gaiement, il s'aperçut avec stupéfaction qu'il n'y avait que des hommes. Ces derniers l'accueillirent avec joie, lui offrir à manger et à boire. L'eau coula à flot, la musique résonna à ses oreilles toute la nuit, les rires le rebiffèrent, la danse l'extasia, l'alcool l'embrouilla...
2ème partie
[Réveil tôt le matin]
Lorsque Eric se réveilla, ce fut au milieu de corps. Il lui fallut du temps pour émerger totalement de son sommeil et remettre un peu d'ordre dans les évènements passés ces derniers jours. Il y avait un bûcher non loin. Le feu était éteint. Des bouteilles jonchaient le sol ainsi que des restes de nourriture. Il avait peine à se souvenir ce qui s'était passé, mais peu importait. Le plus important se trouvait sous ses yeux. Il n'était pas seul, sur cette île. Il était sauvé !
Soulagé, Eric se leva et s'étira, remarquant par là même qu'il portait un collier de fleurs. Son baîllement bruyant réveilla quelques personnes.
- Où sommes-nous, exactement ?
Un homme se releva péniblement, affichant un regard encore fatigué, épuisé par la fête de la veille. Il se frotta les yeux et plongea son regard dans le sien.
- Nous sommes chez nous.
Chez nous... D'accord. Oui, mais où exactement ? Eric lui lança un regard appuyé en espérant avoir plus de précisions.
- Pas très loin de l'Angleterre. Cette île n'est pas répertoriée sur les cartes.
- Ah, d'accord... Un moyen d'en sortir ?
- Oh, évidemment ! Mais l'île t'appelera toujours, tu voudras sans cesse y retourner... Tu peux lui échapper, mais elle finira par te rattraper...
- Mmh...
Ses paroles ne rassuraient pas Eric. Son seul désir était de partir, de s'en aller loin d'ici, de retrouver sa petite vie tranquille !
- Ah, au fait... Félicitations !
- Pour ?
- Bah, pour ton mariage !
- Mon... Mon quoi ?
- Ton mariage !
Incrédule, Eric dévisagea l'homme et, avant qu'il n'ait pu réagir, il sentit ses lèvres se poser sur les siennes pour les embrasser avec tendresse.
- Je suis heureux d'être ton mari.
- QUOI ?
C'était un cauchemar ! Un véritable cauchemar ! En vérité, jamais il ne s'était réveillé. Il se trouvait encore sur le bateau, il dormait encore et rêvait de tout ça ! Oui, c'était ça. Bientôt il se réveillerait et se retrouverait dans sa chambre, soulagé d'y être...
[Deux heures plus tard, après 10km de marche...]
- Nous y voilà.
Eric s'interrompit et observa le spectacle qui se déroulait devant ses yeux. Un petit village. Ce n'étaient pas des maisons faites de ciment, mais plutôt des paillotes, des sortes de petites huttes en bois, au milieu de la forêt. Derrière certaines d'entre elles se trouvaient de petits jardins. Des séchoirs avaient été construits pour suspendre le linge, ainsi que des tables pour manger... mais il y avait également d'autres matériaux qui n'avaient sûrement pas été construits sur cette île, comme des marmites en cuivre, des casseroles, des assiettes, des couverts, des ornements, des décorations d'intérieur... Il ne manquait de rien.
- Nous cherchons ce qu'il nous manque en Angleterre.
- Ah. Merveilleux...
- Nous nous lavons aux sources chaudes.
- Il ne fait jamais froid ici ?
- Étrangement... non. Alors que nous ne sommes pas situés à l'équateur...
- Il n'y a pas de femmes.
- Un phénomène que nous n'expliquons pas.
- Quand pourrai-je rentrer ?
- Maintenant si tu le veux. Certains de nos hommes vont chercher du dentifrice, nous n'en avons plus.
- D'accord. Avec quel argent ?
- Celui que nous récupérons à chaque naufrage.
- Il y en a souvent ?
- Assez régulièrement.
Eric ferma les yeux et inspira profondément. Il fallait absolument qu'il retrouve son calme. Ses séances de thérapie avaient parfaitement fonctionné, autrefois, mais là c'était trop. Beaucoup, beaucoup, trop. Les séances de thérapie n'y pouvaient plus rien, voir un psychologue n'y changerait rien... Il devait simplement rentrer et là, tout irait mieux. Beaucoup mieux.
[…]
[Angleterre. Appartement 2B.]
[3 jours après avoir quitté l'île.]
- Aaaaaaaargh !
Il respirait avec force et secouait la tête, espérant ainsi chasser les pensées qui lui encombraient l'esprit et l'empêchaient de vivre. Il se sentait pris au piège comme un vulgaire lapin. Sa vie n'avait plus de sens. Plus rien n'avait de sens, en vérité. Il voulait seulement mourir, ne jamais avoir connu cette maudite île, l'oublier, l'effacer de sa mémoire, mais elle était là. Dans son esprit. Elle l'espionnait, la perverse ! Elle le voulait pour elle toute seule et elle l'appelait sans cesse ! Il n'en pouvait plus, il allait devenir fou si ce n'était pas déjà le cas. Il entendait toutes ces voix et tous ces murmures dans son esprit.
- Arrêtez, arrêtez, arrêtez !
Il s'en arrachait presque les cheveux, pleurait, se berçait d'avant en arrière, agenouillé au milieu de son salon... et son chat qui le regardait avec de grands yeux sans comprendre ce qui arrivait à son maître. Eric se rendit dans sa cuisine en précipitation, fouilla les placards et en sortit un verre. Après avoir retourné les tiroirs et les avoir vidés de leur contenu, il trouva enfin ce qu'il cherchait. Des médicaments contre sa folie passagère. Après, ça irait tellement mieux ! Les mains tremblantes, il en prit un et l'avala. Puis il regarda la boîte... et la vida de tout son contenu.
[3h plus tard.]
- Non, non, non... Je ne veux pas y retourner...
Il pleurait, se lamentait, affalé de tout son long dans le lit. Il souffrait. Il souffrait tellement ! L'île continuait de l'appeler avec force et lui s'obstinait à rester ici malgré son irrésistible envie d'y retourner. Son mari avait raison. Il était impossible d'y échapper...
Un claquement de porte se fit entendre, suivi de pas et la porte de sa chambre s'ouvrit sur la silhouette de l'homme qu'il avait accidentellement épousé, accompagné de quelques autres.
- Eric... C'est inutile de lutter. Cette île finira par te tuer si tu ne reviens pas...
- Je la hais... Je hais votre maudite île ! Laissez-moi crever comme un rat ici...
Son mari secoua la tête et l'aida à se relever. Eric ne tenait malheureusement plus sur ses jambes et était complètement dans les vappes. Impossible pour lui de lutter.
Le chat fut également embarqué.
[Une quinzaine de jours plus tard...]
Il entendait toujours les pas derrière lui qui se rapprochaient, toujours plus vite.
- Matthew ! hurla-t-il à plein poumons. MATTHEW !
Mais il était encore trop loin du village, son mari ne pouvait pas l'entendre. Rah ! Il était seulement parti chasser, il n'avait provoqué personne ! Il voulait seulement être en paix, et voilà que ces maudits Valen l'attaquaient ! Enfin, surtout un. Ils avaient le don de se camoufler, tels des caméléons, et l'un d'eux lui avait sauté dessus pour essayer de l'égorger, mais Eric était parvenu à lui échapper... Cependant, il doutait de pouvoir le semer, il courait beaucoup trop vite. Comme ses congénères.
Hors d'haleine, Eric osa jeter un regard en arrière et sentit une douleur fulgurante lui traverser le dos et la poitrine. Surpris par le choc, il s'étala au sol et le Valen qui le poursuivait se jeta sur lui.
- Partez de nos terres ou mourez ! Vous n'avez absolument rien à faire ici, cette île nous appartient !
- Je ne suis pas entré dans votre forêt !
- Mais vous êtes sur notre île !
- Elle ne vous appartient pas, votre nom n'est pas gravé dessus !
Le Valen feula, fou de rage, et, malgré lui, Eric ne put s'empêcher de l'observer. S'il n'avait pas connu leur nom, il les aurait confondu avec des elfes. Des oreilles légèrement pointues, un teint diaphane, des yeux lumineux... Ils étaient étonnamment doués à l'arc, percevaient facilement les sentiments des autres, pouvaient se camoufler, étaient en communion avec la nature et parlaient incroyablement bien, sans jamais être vulgaires... mais ils n'étaient pas des elfes. Ils étaient différents. Ils leur ressemblaient, certes, mais les elfes ne changeaient pas de couleur pour se camoufler, ne percevaient pas aussi bien les sentiments des autres et, bien qu'ils adoraient la nature, les Valen la vénéraient et vivaient pour elle, protégeaient leur forêt au péril de leur vie... Ils avaient un mode de vie intéressant, mais ils refusaient pertinemment la présence des humains.
Le regard d'Eric sembla troubler le Valen qui se redressa, le fixa une dernière fois, et parti. Eric le laissa fuir, silencieux.